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DVA: de la friture sur la fréquence

Publié le 03 décembre 2022

DVA: de la friture sur la fréquence

DVA : de la friture sur la fréquence - Community Touring Club

 

DVA : de la friture sur la fréquence

 

Allô ? La fréquence 457 kHz ? Je ne vous reçois pas… La multiplication des appareils électroniques embarqués handicapent sérieusement l’efficacité des DVA (Détecteurs de victimes d’avalanche). En produisant des interférences sur la fréquence d’émission des DVA, le fameux 457 kHz, ils peuvent, dans certains cas, diminuer fortement voire compromettre une recherche de victime(s). Nous avons rencontré spécialistes et fabricants pour comprendre comment les smartphones, GoPro® et autres gants chauffants nous brouillent l’écoute.

Le cas est troublant. « Le 21 décembre dernier dans le secteur du Grand Argentier, Massif du Thabor, frontière italienne. J’arrive face à une avalanche manifestement très récente. Je mets mon DVA en mode réception et découvre que mon appareil m’indique une victime à 41 m, une distance qui va évoluer dans un sens ou dans l’autre au cours de ma progression pour explorer le dépôt. J’ai tout de suite le doute par rapport à une éventuelle interférence de mon téléphone que je tiens éloigné, mais que je ne veux pas l’éteindre. Je suis seul et, pour l’instant, la réseau ne passe pas. Je ne veux pas appeler le 112 pour ne pas déclencher un branle-bas de combat inutile. Finalement, après avoir parcouru et remonté l’avalanche pendant environ 1 heure, je conclus qu’il n’y a probablement personne. Cette perturbation des DVA numériques, je l’avais découverte il y a 15 ans, lors d’un accident qui avait conduit au décès d’un pisteur à Praloup. Sur place immédiatement après le drame et le lendemain, j’avais vérifié que le pisteur ayant pris en charge la recherche était parfaitement efficace sur un exercice… sans téléphone dans la poche pour lui indiquer de fausses distances ! »

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Cet exemple vécu par Alain Duclos (pisteur, guide, formateur à l’ENSA et expert judiciaire) illustre bien l’inextricable situation dans laquelle se trouvent les secouristes, fabricants et simples amateurs en situation d’urgence sur le terrain : la multiplication des appareils électroniques embarqués envahit la fréquence de 457 khz réservée au DVA et gêne les secours… dans une situation où la rapidité d’exécution est primordiale. Les cas sont encore rares mais la situation est néanmoins préoccupante.

Manuel Genswein, spécialiste suisse du secours et concepteur des appareils Barryvox, résume la situation ainsi : « beaucoup d’appareils électroniques, de gadgets non nécessaires qu’on emporte aujourd’hui avec nous (frontale, portable, caméras) ont la capacité de créer des interférences sur une bande de fréquence très large qui peut inclure les ondes 457kHz. Le DVA confond l’interférence et le signal de l’enseveli. Ce n’est pas seulement une interférence extérieure qui dérange l’appareil, mais de vraies ondes 457kHz ! On ne peut pas les filtrer sinon on filtre de vrais signaux ».

Au rayon des gadgets cités, on pense au téléphone portable (plus l’écran est grand, plus les perturbations sont importantes), aux caméras embarquées type GoPro®, mais il y a aussi les paquets de gâteaux emballés dans l’aluminium (un guide suisse me racontait que glissés dans la mauvaise poche, ces sucreries bloquent quasiment le signal du DVA), les radios, les lampes frontales à variateurs, gants chauffants et aimants.

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La question n’est pas nouvelle mais la généralisation des DVA numériques et la multiplication des appareils électroniques compliquent la tâche. « Un DVA numérique filtre avec un algorithme le signal reçu pour le convertir en indication chiffrée », explique Fred Jarry de l’ANENA. Et un processeur, ça reconnait forcément moins bien des interférences que l’oreille humaine. « Avec des appareils analogiques, on pouvait filtrer à l’oreille ces signaux perturbants, les identifier. Un utilisateur entrainé pouvait faire le tri mais cela restait difficile pour un débutant. Avec un DVA numérique, les interférences sont visuelles : la flèche change sporadiquement de sens, donnant des informations contradictoires… », précise Vincent Thomas d’Ortovox.

La multiplication des appareils électroniques embarqués envahit la fréquence de 457 khz réservée au DVA et gêne les secours… dans une situation où la rapidité d’exécution est primordiale.

Les premiers acteurs vers lesquels on se tourne, naturellement, sont les fabricants. Ils sont peu nombreux (Barryvox, Ortovox, Arva, Pieps et Tracker) et se partagent un marché limité estimé à 150 000 unités vendues dans le monde par an, dont 10% en France. Le problème est que les fabricants ne peuvent pas faire grand chose. « Nous sommes entourés d’objets créant des interférences et ils se multiplient. On demande aux DVA d’être de plus en plus précis, rapides et fiables, or ces deux tendances sont incompatibles. Il n’y a pas de solution dans sa globalité venant des fabricants », indique Patrick Benyakar de Barryvox. En fait, un DVA peut réduire les interférences, ce qui signifie qu’il diminue également sa portée, et qui dit portée réduite dit temps de recherche allongé… « On ne peut pas créer un DVA qui accepte beaucoup d’interférences sans problème et possède en même temps une grande largeur de bande de recherche. Si on veut des appareils capables de gérer beaucoup d’interférence, on réduit la portée », confirme Manuel Genswein.

Ainsi Barryvox et Arva ont ajouté sur leurs modèles haut de gamme une fonction indiquant à l’utilisateur la présence d’interférences importantes et proposant de les réduire en rétrécissant la portée. « C’est une stratégie pour minimiser les problèmes liés aux interférences sans les éradiquer. On a pas trop d’autres solutions sur le plan technique. Un affichage indique s’il y a des interférences, en émission et en réception. On ne peut pas faire grand chose d’autre, de plus les appareils électroniques changent tout le temps, leur impact est aléatoire selon la position de l’antenne du DVA, selon la zone aussi car si je suis dans un endroit où le réseau téléphonique ne passe pas, mon téléphone va augmenter sa puissance pour capter un signal et produire encore plus d’interférences ! », explique Patrick Giraudon du fabricant français Arva. Chez Ortovox, on précise que « pendant l’émission l’appareil écoute ce qui se passe autour de lui et choisi l’antenne la moins sensible aux interférences du moment ».

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Effectivement, il n’existe pas d’autre fréquence capable de traverser tous les types de neige et fournir un signal fiable et stable dans 99% des cas.« La technologie actuelle permet d’avoir un appareil qui t’indique la distance et la direction vers la victime. Elle est aussi idéale par rapport au manteau neigeux majoritairement composé d’eau. Il y a d’autres approches testées, en couplant GPS et 457 Khz, DVA et Recco, DVA et smartphones. Mais l’enjeu d’un DVA n’est pas la course à la technologie : c’est d’être simple à utiliser dans une situation compliquée et une fenêtre critique de 15 minutes », explique Vincent Thomas. Le syndrome Gameboy, qui avait handicapé le modèle « à clapet » d’Ortovox, ne touche plus les fabricants.

Pour les DVA, simplicité rime avec efficacité.

« Nos écrans graphiques qui affichent nos beaux logos émettent tellement de bruit électromagnétique qu’on est obligé de les blinder avec des feuilles d’alu. Nous luttons pour créer le meilleur ratio bruit/sensibilité, avec de la performance, de la portée, de la qualité de marquage… et tout cela dans une petite boite avec des composants qui interfèrent les uns avec les autres. A cela on rajoute un accéléromètre, un détecteur de mouvement… », explique Patrick Giraudon. Ainsi le Pulse (Barryvox, ndlr) et le Neo (Arva, ndlr) ont une meilleure portée que leur grand frère haut de gamme ! Cela s’explique par leur écran LCD tout simple qui produit moins d’interférences.

Est-ce que ces problèmes d’interférences, exacerbé par le mode numérique des DVA, ne militent pas pour le retour de l’analogique. Souvenez-vous du bug régulier de votre F1 Focus… « Non, réellement non. Les tests avec les modèles numériques montrent qu’ils sont vraiment très rapides… bien plus que l’analogique, il n’y a pas de doute. Si tu es entrainé, tu te rendras compte que ton DVA fait des choses bizarres : sois ça te donne des chiffres qui vont dans tous les sens, soit ça te donne un chiffre qui ne bouge pas », répond Fred Jarry. « 8 avalanches sur 10 sont des scénarii simples à résoudre et le numérique fait tout à fait le job », ajoute Vincent Thomas.

Les tests avec les modèles numériques montrent qu’ils sont vraiment très rapides… bien plus que l’analogique, il n’y a pas de doute.

Cela n’empêche pas certains modèles haut de gamme de proposer l’option analogique, pour les cas compliqués et des utilisateurs expérimentés. « J’ai vu des cas ou le niveau d’interférences était tellement élevé qu’il était presque impossible pour un DVA de faire une recherche. Si on a la possibilité de passer en analogique, ça permet de faciliter les choses, parce que l’oreille humaine fait l’analyse de la tonalité analogique et elle est nettement plus forte qu’un processeur pour distinguer entre les interférences et le signal de l’enseveli. Ce sont des cas rares. Je conseille toujours de choisir des produits qui permettent de revenir à l’analogique mais il ne faut pas jeter les DVA modernes pour revenir à l’analogique ! Dans la plupart des cas, le numérique reste le plus rapide et le plus efficace, le niveau d’interférences empêchant la recherche est quand même rare. Le retour à l’analogique serait catastrophique. Le cas des professionnels de la montagne (guide, sauveteur au PGHM ou pisteur) est différent : c’est leur travail de sauver des vies et dans ces cas rares, ils doivent pouvoir appliquer les fonctions analogiques », estime Manuel Genswein.

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On peut relativiser car les cas de secours autonomes concernés par les interférences sont rares, mais personne ne peut dire qu’il ne se multiplieront pas à l’avenir. Donc si la technique est impuissante à réduire les interférences sans grever les performances d’un DVA, la clé de la lutte contre les parasites reste le comportement sur le terrain : éteindre tous les appareils électroniques pendant la recherche. Eteindre son portable (pas en mode avion, réellement éteint !) ? Pour les secouristes (urgentistes et PGHM), il est tout à fait exclu d’éteindre le portable avant leur arrivée. Le portable allumé permet les échanges indispensable pour vérifier l’évolution des victimes, la localisation, etc. De plus, il faut toujours s’attendre à un réseau foireux qui coupe des conversations qu’il faut reprendre ensuite. Les secours préfèrent, de surcroît, parler avec le membre du groupe le plus lucide et c’est souvent lui qui est au charbon, en plein sur la scène du secours.

Eteindre son portable. Pas en mode avion : réellement éteint !

Alors que faire ? « Si vous êtes seul, vous pouvez appeler les secouristes, leur donner toutes les infos et ensuite couper le téléphone pendant la recherche. En groupe, celui qui passe l’appel doit être à l’écart de ceux qui cherchent, environ 30 mètres. Il faut surtout être conscient de ces problèmes, c’est à dire ne pas commencer la recherche avec un téléphone portable dans la poche (dans le sac à dos normalement c’est suffisant) », indique Fred Jarry.  « Le mieux est de s’entrainer régulièrement avec son appareil dans différentes situations, être capable d’identifier une réaction anormale de son DVA. Dans une démarche de secours, il est inconcevable d’avoir tous les téléphones éteints, donc il faut qu’un téléphone soit accessible », précise Vincent Thomas.

De gauche à droite : Kilian Jornet - Enak Gavaggio - Mathieu Navillod pendant le Big Up&Down 2016

De gauche à droite : Kilian Jornet – Enak Gavaggio – Mathieu Navillod pendant le Big Up&Down 2016

Les interférences étant plus problématiques en réception qu’en émission, Ortovox recommande « 20 cm d’écart entre le téléphone et le DVA en émission, par exemple le téléphone est dans le sac à dos ou alors dans la poche d’un pantalon », conseille Vincent Thomas, « et en réception, notre préconisation est d’éteindre tout appareil électronique non nécessaire ou le mettre à 50 cm de distance. Garder 50 cm de distance entre le DVA dans la main en mode recherche et le téléphone (dans le sac à dos) ». « La solution viendra des utilisateurs qui reconnaitront ce problème et modifierons leur comportement pour éviter les interférences. Un DVA n’est pas un produit lambda. Les appareils simplifient la recherche, mais ça ne veut pas dire qu’elle se fait toute seule, les skieurs doivent connaitre leur appareil pour bien s’en servir ! La solution est d’adopter de nouveaux réflexes », ajoute Patrick Benyakar.

Certes, « adopter de nouveaux réflexes »… Ce n’est déjà pas évident pour des pros dont c’est le métier, alors demander à des amateurs de rajouter toute une série de nouveaux réflexes à une procédure de secours est probablement illusoire. Quand on sait qu’environ 15% des randonneurs ne possèdent pas de DVA, combien maitrisent l’organisation d’un secours ? Combien oublient de passer en mode réception lors d’un secours en groupe ? Combien sont capables de garder leur sang-froid en cas d’accident ? Et combien vont se souvenir qu’il faut en plus éteindre tous les équipements électroniques et prendre soin de s’éloigner d’au moins 30 m pour appeler les secours ?

Texte : Guillaume Desmurs

[box type= »info »] Les recommandations de Manuel Genswein 

 

En mode émission : Maintenir une distance minimum de 20 cm entre le DVA et les objets provoquant des interférences.
En mode réception (c’est-à-dire pendant une recherche) : Porter cette distance à 50 cm. Tous les objets électroniques des chercheurs doivent être éteints. L’usage du téléphone portable pendant la recherche est limité à des conversations courtes d’urgence passées à au moins 25 mètres du chercheur le plus proche. Cela concerne les amateurs, car le professionnel de la montagne, lui, « saura dans certains cas distinguer entre un vrai signal et un faux signal, et il aura appris des stratégies de recherche efficaces dans une zone où il y a des interférences inévitables, comme par exemple près d’une ligne à haute-tension ou près des télésièges avec des câbles de communication. Il appliquera, par exemple, des micro-bandes de recherche. Le sauveteur bien formé sera capable, dans des situations complexes, d’arriver à une performance de recherche réaliste pour sauver une vie, » précise Manuel Genswein.[/box]

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